Photo credit: DiasporaEngager (www.DiasporaEngager.com).

Le privilège de l’écrivain est de nous entraîner là où il  veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Et comme le lecteur disposant d’outils de recherche, il va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
 
Libé : Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
 
J’ai commencé à écrire dès mon plus jeune âge. J’inventais des personnages et je vivais à travers eux. A 14 ans, j’ai participé à un concours d’écriture organisé par le Lycée Descartes. J’ai eu le premier prix et mon texte a été lu devant les élèves et leurs parents, devant les enseignants aussi. Il a ensuite été publié dans un recueil avec les autres textes retenus. J’avais pour la première fois ouvert la porte de mon jardin secret. Je me souviens d’une appréhension, vite balayée par le bonheur d’avoir été comprise, écoutée. Je me souviens également que cela a été, pour l’adolescente discrète et timide que j’étais alors, un vrai encouragement à poursuivre dans cette voie.

Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits, et de les écrire ?

Je me souviens des livres de Sagan, «Un certain sourire» et «Bonjour tristesse » qui ont accompagné mon adolescence, que j’ai d’ailleurs relus dernièrement avec beaucoup d’émotion. Lorsque j’ai commencé à écrire, à l’âge de douze ans, j’aimais tout autant l’univers torturé et sombre de Jean-Paul Sartre dans «La Nausée » ou «Le Mur» que la poésie et la justesse du mot de Stephan Zweig dont je dévorais les nouvelles. J’écoutais en boucle les chansons de Michel Sardou et avais une tendresse particulière pour Francis Cabrel. Ces artistes, aux univers très différents, m’ont fait voyager à travers leurs textes et ont été de véritables sources d’inspiration.

Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?

Avant, j’étais capable d’écrire dans n’importe quel endroit. Je parvenais sans aucune difficulté à faire abstraction des bruits et des personnes qui m’entouraient. J’ai toujours réussi à écrire, aussi bien sur la banquette arrière de la voiture de mes parents lorsque j’étais enfant, que, par la suite, dans une salle d’attente, à une terrasse de café ou entre deux rendez-vous. Je pense que le métier de journaliste nous oblige à écrire sous contraintes, et de ce point de vue, j’ai beaucoup appris. Je réalise cependant que j’ai changé. Depuis quelques années, j’écris essentiellement après m’être retirée dans mon bureau. J’ai mis en place, sans en avoir conscience, certains rituels : il me faut du calme, du chocolat, une tasse de thé. Cela peut paraître curieux, mais j’ai remarqué aussi que j’écrivais plus facilement lorsque mon chien était près de moi, dans la même pièce. J’écoute des morceaux de piano, je trouve cela apaisant et inspirant.

«Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable», dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969

J’aurais tellement aimé partager l’avis de Françoise Sagan, mais, hélas écrire ne rime pas toujours avec plaisir pour moi. J’ai connu des périodes de creux, de vide, de doute. C’est très compliqué de traverser le désert de la page blanche ! Quand je n’écris pas, je me réfugie dans la lecture, ce qui, en définitive, revient au même : évoluer dans un monde parallèle à la réalité. La lecture me replonge dans le plaisir du mot et me nourrit à nouveau d’une énergie positive. Je retrouve alors le bonheur d’écrire.

Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?

La vie nous met parfois face à des épreuves qu’il est plus simple de traverser, il me semble, quand on n’est pas seul. Et l’écriture est la meilleure des compagnes puisqu’elle offre de la légèreté lorsque l’existence est douloureuse et de la profondeur quand tout paraît futile et superficiel. La vie que l’on invente devient un refuge, un abri. On peut entrevoir des issues plus heureuses, des atmosphères plus douces que celles qui s’offrent à nous. On peut s’autoriser à y plonger la tête la première, à y croire. J’aime penser que cette part de rêve nous revient et nous appartient. Ma vie est plus douce grâce à l’écriture. Celle-ci console, guérit, panse les douleurs et nous entraîne sur des chemins de traverse qui sont de merveilleux voyages !

Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence de la morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?

Le roman est le lieu de tous les possibles. Je m’en rends compte lorsque je décide de changer le caractère de mon personnage, son espace de vie, son destin, ou encore le fil de sa vie. L’écriture est une matière vivante, une argile mille fois remodelée ; et lorsqu’enfin le roman est là, achevé, lorsque le point final est posé, il ne nous appartient plus. Il appartient à ceux qui le feuilletteront distraitement avant de le reposer, ou à l’inverse le dévoreront jusqu’à la dernière page. Aux hommes et aux femmes à qui il racontera une histoire à chaque fois différente parce que selon leur vécu personnel, elle ne résonnera pas de la même façon. Sans compter que nous sommes tous en perpétuel changement, en constant devenir. Un livre que nous lisons à vingt ans résonne-t-il pareillement lorsque nous en avons quarante ? Nous touche-t-il de la même manière qu’il touche un ami, un voisin ? Non, et pourtant, ce sont les mêmes mots que nous parcourons, la même histoire qui est racontée. Mais un roman a ceci de fascinant qu’il interpelle en chacun de nous ce qui fait notre singularité. En ceci, il est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées, le lieu de l’absence manichéenne. Il représente notre humanité. 

Propos recueillis
par Mouhoub Abdelkrim

Source of original article: Libération (www.libe.ma).
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