Le corps de la jeune femme, lui, n’a rien oublié. La marque des souffrances subies y est indélébile.

Zeinaba a alors 10 ans.

Elle partage une chambre à coucher avec sa mère et ses deux sœurs aînées dans un quartier pauvre de Djibouti, sa ville natale. Les murs sont nus. Le mobilier est inexistant.

« Il y avait juste une télé, nos valises pour mettre nos vêtements et nos matelas sur lesquels on dormait », confie-t-elle récemment à ONU Info.

Le père de Zeinaba est décédé l’année précédente, emporté par une grippe intestinale.

Pour survivre, sa mère vend des galettes de pain aux passants qu’elle prépare dans la cuisine commune de leur appartement, où cohabitent trois autres familles.

Insouciante, Zeinaba passe son temps à jouer à la mariée ou à la corde à sauter avec ses copines du quartier.

« On s’amuse avec la boue aussi », se remémore-t-elle.

Une visite inattendue

Ce jour-là, une femme se présente chez elle.

Zeinaba ne l’a jamais vue. Elle s’imagine que c’est une amie de sa mère ou une voisine.

L’intruse n’est pas venue les mains vides.

« Elle avait une seringue, une lame de rasoir et des pansements », se souvient-elle.

La suite, Zeinaba l’a oubliée, ou presque.

Ce qu’elle retient surtout, c’est la sensation de douleur une fois dissipés les effets de l’anesthésie.

« J’avais du mal à marcher et quand j’urinais, ça me brûlait », dit-elle.

Sur le coup, sa mère minimise l’événement. Elle parle de tradition – une simple coutume.

© Neuvième-UNFPA Djibouti

Zeinaba Mahr Aouad, 24 ans, de Djibouti, a survécu à une mutilation génitale féminine à l’âge de 10 ans.

« J’avais peur d’éprouver de la rancune »

Ce n’est qu’à l’adolescence, une fois entrée au lycée, que Zeinaba prend conscience d’avoir subi une mutilation génitale féminine (MGF).

En cours d’éducation sexuelle, elle comprend enfin l’objectif de cette pratique: museler sa vie intime.

Zeinaba demande alors des explications.

« J’avais peur d’éprouver de la rancune envers ma mère », avoue-t-elle.

Pleine de regrets, celle-ci lui explique avoir suivi les conseils des voisins, eux-mêmes influencés par l’omniprésence de cette pratique ancienne à Djibouti.

Malgré la promulgation, en 1995, d’une loi nationale interdisant les mutilations génitales féminines, ces dernières persistent encore dans ce pays en majorité musulman de la Corne de l’Afrique.

La jeune fille, consciente que sa mère n’a pas reçu d’éducation, finit par tout lui pardonner.

230 millions de survivantes

Aujourd’hui, Zeinaba a 24 ans et vit toujours avec sa mère.

Chaque mois, les événements de ce jour fatidique remontent à la surface sous la forme de règles douloureuses.

Ses deux sœurs, mutilées comme elle dès le plus jeune âge, sont désormais mariées et mères de famille.

L’une d’entre elles a eu des complications liées à son excision lors de son accouchement.

À l’instar de Zeinaba et ses sœurs, environ 230 millions de filles et femmes dans le monde subissent actuellement les conséquences de cette pratique.

Plus de 90 pays sont concernés, principalement en Afrique et en Asie, en tête desquels figurent notamment le Nigéria, l’Égypte, l’Éthiopie, le Soudan et l’Indonésie.

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) définit les mutilations génitales féminines (MGF) comme un ensemble de procédures impliquant l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins, pour des raisons non médicales.

Dr Wisal Ahmed, spécialiste des MGF au Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), préfère quant à elle parler de crise des droits de l’homme à l’échelle planétaire.

« Il existe un large éventail de pratiques, pouvant aller des brûlures aux coupures, en passant par des coutures ne laissant qu’une ouverture très fine pour laisser passer uniquement l’urine », explique-t-elle à ONU Info.

Pour la Dr Ahmed, ces pratiques trouvent leur origine dans des normes sociales et croyances positives, telles que la propreté.

« La propreté en tant que symbole de pureté pour maintenir l’honneur de la famille, comme critère de mariage, ou comme droit de passage vers la féminité », précise-t-elle.

Pratiquée chez certains musulmans, mais également chez les chrétiens, la mutilation génitale féminine se teinte souvent de préceptes religieux, mais pas exclusivement.

« Selon certaines croyances erronées, si le clitoris n’est pas coupé, il continue de grandir jusqu’à atteindre la taille d’un homme », indique notamment la conseillère de l’UNFPA, qui fait office d’agence de l’ONU chargée des questions de santé sexuelle et reproductive.

Le Dr Wisal Ahmed (au centre), Coordinatrice mondial du programme conjoint UNFPA-UNICEF pour l’élimination des mutilations génitales féminines, visite un établissement de santé à Dalocha, dans la zone Silt’e, en l’Éthiopie.

Des complications multiples

Ces pratiques laissent des cicatrices physiques, émotionnelles et psychologiques qui peuvent durer toute la vie.

Au niveau médical, elles peuvent entraîner des hémorragies, des complications obstétriques, voire même la mort.

En cas de mauvaise cicatrisation, des blessures et gonflements sont susceptibles d’apparaître, ainsi que des problèmes liés aux menstruations et aux voies urinaires, comme dans le cas de Zeinaba.

« Elles urinent goutte à goutte, ce qui peut déclencher des infections », précise la Dr Ahmed.

D’un point de vue psychologique, les dommages vont de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte et se manifestent par de l’anxiété, des troubles post-traumatiques et la dépression.

Les mutilations engendrent aussi des problèmes de santé sexuelle.

À Djibouti, au Soudan et en Somalie, par exemple, la pratique consiste à refermer tout l’orifice de l’enfant, y compris les grandes lèvres.

« La femme est à nouveau coupée pour avoir des rapports sexuels, puis recousue, puis rouverte pour l’accouchement et refermée pour une fois de plus rétrécir l’orifice », explique la conseillère de l’UNFPA.

Si son bébé met trop de temps à sortir, les MGF peuvent également entraîner des problèmes respiratoires associés à une morbidité néonatale.

Chaque fois, c’est l’occasion pour la survivante de revivre son traumatisme.

Une action internationale en demi-teinte

En 2012, l’Assemblée générale de l’ONU a proclamé le 6 février Journée internationale de la tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines.

Célébrée jeudi, cette journée vise à sensibiliser les populations pour mettre définitivement fin à cette pratique, ce que l’Objectif de développement durable (ODD) numéro 5 se propose de faire d’ici 2030.

Selon la Dr Ahmed, ces efforts ont contribué au déclin constant de la prévalence des MGF au cours des 30 dernières années.

Toutefois, ce recul ne se traduit pas dans les faits par une baisse du nombre des femmes concernées, en raison de l’accroissement de la population mondiale.

« Même si les pourcentages diminuent, les chiffres augmentent », explique-t-elle.

De fait, il y a huit ans, elles étaient 200 millions à avoir subi ces mutilations, soit 30 millions de moins qu’aujourd’hui.

Des tendances préoccupantes

La Dr Ahmed note par ailleurs une tendance préoccupante liée à l’abaissement de l’âge des survivantes.

Habituellement ces dernières ont entre cinq et neuf ans.

Or, il existe selon elle des signes indiquant que davantage de filles de moins de 5 ans subissent des mutilations.

Pour la Dr Ahmed, cela pourrait être une réaction à la stigmatisation croissante de l’excision.

« Vous savez, un bébé ne parle pas », explique-t-elle.

Cela pourrait aussi être dû au fait que les MGF sont de plus en plus assimilées à la circoncision masculine, qui est souvent pratiquée très tôt.

La Dr Ahmed note également une implication accrue des agents de santé dans la pratique, autrefois l’apanage des praticiens traditionnels, sous prétexte de la rendre plus sûre.

« C’est une violation du code de conduite professionnel, car les agents de santé sont avant tout censés ne pas nuire », dénonce-t-elle, en référence au Serment d’Hippocrate.

Pour faire face à ces tendances, la spécialiste des MGF rappelle l’importance du thème de l’édition 2025 de la Journée internationale, qui souligne le besoin critique de collaboration entre des agences comme l’UNFPA et les communautés locales.

Le réseau « Elle & Elles »

À Djibouti, Zeinaba travaille désormais comme volontaire au sein de l’association de femmes Rasmy, l’une des huit ONG à avoir rejoint le réseau « Elle & Elles ».

Lancé par l’UNFPA en 2021, ce réseau, qui compte aujourd’hui plus de 60 femmes, fournit un appui aux militantes locales de la santé et des droits des femmes.

Dans ce cadre, Zeinaba participe à des activités de porte-à-porte dans plusieurs quartiers défavorisés de Djibouti pour tenter de sensibiliser les jeunes et futurs parents aux effets néfastes des mutilations génitales féminines – aussi bien les femmes que les hommes.

« Parce qu’il n’y a pas que la femme qui participe à ces pratiques :  sans l’accord de l’homme à ses côté, cela ne pourrait pas se faire », insiste-t-elle.

L’association Rasmy organise aussi régulièrement des « causeries » au siège de l’association.

« C’est vraiment difficile de faire changer les gens d’avis, surtout si ce sont des idéologies établies depuis des décennies », reconnaît toutefois Zeinaba.

« Ils nous jettent des cailloux »

Il arrive souvent que les femmes de l’association soient mal accueillies. On les accuse de vouloir bafouer les traditions et de manquer de respect à la religion.

« Les gens nous insultent et nous ferment la porte au nez. Ils nous menacent et nous traitent de mécréants. Ils nous jettent des cailloux », raconte la jeune femme.

Aucun de ces obstacles ne parvient cependant à entamer la détermination de Zeinaba et de ses collègues, toutes mutilées comme elle.

Selon la jeune femme, à force de revenir vers les résidents, ces derniers ont fini par les accepter et se montrent réceptifs à leur message.

Pour l’heure, Zeinaba est célibataire et sans enfants. Mais une chose est claire dans son esprit.

« Je ne permettrais pas que ma fille vive la même chose », affirme-t-elle.

Source of original article: United Nations (news.un.org). Photo credit: UN. The content of this article does not necessarily reflect the views or opinion of Global Diaspora News (www.globaldiasporanews.com).

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