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Le privilège de l’écrivain est de nous entraîner là où il veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Et comme le lecteur disposant d’outils de recherche, il va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte, afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, à nous, lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances engendrant la satisfaction, voire la satiété, en étant leurs complices.

Libé : Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, et que vous avez soumis au lecteur ?

Saïd Laqabi : Effectivement, il est nécessaire de faire ce distinguo entre texte écrit, texte soumis aux lecteurs, et texte publié. En ce qui me concerne, mes premiers textes soumis aux lecteurs et publiés, des années après, étaient des nouvelles. Je me souviens, comme si c’était hier, d’une nouvelle que j’ai intitulée « Sur la route», sortie, en 1986, sur les annales du Journal du CPR de Safi, où j’étais en formation. A l’époque, je découvrais la littérature des Beat génération, de J. Kerouak et son fameux «On the road». Par la suite, cette nouvelle et bien d’autres ont été publiées par l’Harmattan, au sein d’un recueil, « Les Gens d’ici ».

Avec du recul, je crois que « Sur la route » portait l’ADN de quasiment tous mes textes de fiction ultérieurs : un tiraillement organique entre un ancrage culturel hic et nunc et un désir de rencontrer l’Autre dans un rapport d’échange et de respect mutuel.

In fine, quand je m’honore de puiser dans ma culture locale marocaine largo sensu, et plus spécifiquement dans celle du territoire de Safi, c’est parce que ce lieu constitue pour moi ( et cela je le porte dans toutes mes communications à travers le monde) un little Morocco culturel offrant un melting pot où naviguent les composantes arabo-musulmanes, amazighes, subsahariennes, ibériques, sépharades…

Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ?

 Vous devez vous en douter, il y en a plusieurs et de plusieurs sphères. Toutefois, je ne citerai que quelques têtes d’affiche comme l’Américain John Kennedy Toole,  auteur de » La conjuration des imbéciles », le Colombien Gabriel Garcia Marquez et ses « Cent ans de solitude », le roman français du 19ème siècle ( Zola, Hugo…) et des écrivains arabes comme Abderrahmane Mounif, etc.

Je tiens aussi à rendre hommage à toute la tradition séculaire que véhiculent nos conteurs populaires racontant avec brio, en usant de techniques narratives efficaces, des gestes, de moins en moins en vogue, comme Taghriba des Beni H’lal, les prouesses chevaleresques de Antar ou de Hamza Al Ayyar… assurant une continuité mémorielle allant jusqu’à l’époque préislamique.

Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque et se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?

En ce qui me concerne, il n y a pas de cérémonial précis. J’ai plutôt besoin, pour mettre un peu d’ordre dans un magma d’idées, d’un endroit calme, de préférence la nuit. Une mise en phrases primaire sera retravaillée  et étoffée par la suite… Une suite qui pourra prendre quelques semaines ou même quelques années, comme c’est arrivé !, pour accoucher d’un texte que j’estimerai satisfaisant.

” Ecrire c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable », dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969.

    Je partage, naturellement, les grandes lignes de la déclaration de Françoise Sagan, et surtout pour cette notion de plaisir. Et je me permettrai de préciser que c’est un plaisir parfois douloureux : une passion, au sens biblique. L’acte d’écrire devient une nécessité multidimensionnelle. Ici, je ferai volontiers référence à E. Fisher dans « La nécessité de l’art ».
    Toutefois, il me faut ajouter une composante, à mes yeux, existentielle pour un écrivain issu de ce qu’on a baptisé désormais par un euphémisme langagier digne de « l’Affirmative action », à savoir « Le Sud global ». C’est la fonction testimoniale : l’écrivain, sans aller jusqu’à la théorie d’Antonio Gramsci, incarne et témoigne du vécu de sa culture.

Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?

    Ma foi cela dépend de la « madeleine » de chacun. Il y a des écrivains qui ont eu / ont beaucoup de peine à relater juste ce qu’ils vivent  réellement, comme Ernest Hemingway, tellement ce vécu est intense. Et il y en a d’autres pour qui écrire leur permet de faire le «Tour du monde en 80 jours» !
    Ce qui est relativement sûr pour moi, c’est qu’une vie bien vécue, à toutes ses phases biologiques, permet de bien appréhender le monde pour mieux en  «témoigner». Et sans remettre les choses aux calendes grecques, Socrate conseillait déjà « Connais-toi toi-même ! ».

Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?

    J’ai une très grande estime pour toute l’œuvre romanesque de Milan Kundera et aussi pour ses essais qui tentent  avec succès  de porter un jugement moderne sur l’acte de l’écriture et ses dilemmes intrinsèques.
  Manifestement, en essayant de voir quelques-uns de mes écrits via la réflexion de M. Kundera, je ne peux qu’acquiescer…
    Ainsi, quand je prends à titre d’exemple mon roman «  Journal intime d’un figurant » ( l’Harmattan – Paris), le « héros » est plus un ver de terre nu et conscient de son état dans un monde sans pitié, quand il tente de réagir aux blessures et de survivre : il traîne vaguement les archétypes de cette morale manichéenne,  à savoir le Bien versus le Mal, le Vrai versus  le Faux et le Beau versus  le Laid, mais a-t-il l’occasion de les appliquer ? A-t-il, vraiment, le choix ?
Pour mon 2ème roman «Gnaouas», chez l’Harmattan – Paris, le héros usera de tous les moyens et de maintes compromissions pour sortir, coûte que coûte, du joug de son esclavage physique et culturel.
     Enfin, concernant ce dernier roman, je tiens à remercier le Conseiller de S.M le Roi, M. André Azoulay, pour son sympathique témoignage et aussi son appel à en faire un film, en raison de son aspect testimonial concernant les relations séculaires, humaines et culturelles qui ont toujours lié le Royaume aux pays du Sahel, grâce au commerce caravanier allant de Tombouctou jusqu’à Safi et Mogador via Smara… 

 Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub

Source of original article: Libération (www.libe.ma).
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